L’école doit-elle être facilitatrice de l’engagement des jeunes ?

Article26 janvier 2024

Mardi 23 avril 2019, WikiCM a accueilli cinq intervenant·e·s pour débattre de la question : l’école doit-elle être facilitatrice de l’engagement des jeunes ?

L’actualité présente des jeunes qui s’engagent pour le climat avec une demande claire et répétée. Est-ce le nombre de jeunes mobilisé·e·s ou la persévérance de celles et ceux-ci ou les deux qui suscitent tantôt l’admiration, tantôt l’inquiétude ? Toujours est-il que ça crée débat.

L’école veut encourager les jeunes à devenir des citoyen·ne·s responsables et engagé·e·s mais elle a également un devoir de transmission d’apprentissages ; des savoirs, des savoir-être et savoir-faire.

Peut-elle, doit-elle donc encourager les élèves à délaisser leurs bancs pour l’espace public ? L’inquiétude de nombreux·ses enseignant·e·s, directions et même de la ministre de l’enseignement Madame Schyns s’est faite entendre.

D’un autre côté, le fait que tant de jeunes se mobilisent, pour une cause commune, essentielle à un monde plus juste et plus durable suscite l’admiration. Parce que l’engagement fait une réflexion à la participation à un monde fait de valeurs et à la transmission de celles-ci. C’est d’autant plus vrai qu’on doit faire le constat d’un transfert accéléré de notre société au cours des dernières années.

L’école doit-t-elle avoir un rôle dans la relance d’une citoyenneté participative ? De quelle manière si tel est le cas ?

Avec la participation de :

  • Guillaume Bossuroy (enseignant de géographie à l’Autre côté de l’école)
  • Anna Robic et Candela Salazar (élèves à l’Autre côté de l’école)
  • Edith Devel (Conseillère au Segec, Secrétariat général de l’enseignement catholique)
  • Kevin Karena (vice-président du CEF, comité des élèves francophones)

Lors d’un moment « quoi de neuf »[1] à L’autre côté de l’école[2] (ACE) un groupe d’élèves ont été interpellé·e·s par la médiatisation de Greta Thunberg et se sont posé des questions à propos du climat, des responsabilités de chacun et des actions qui peuvent être mises en place. C’est ainsi que le mouvement ACE climat est né d’un débat entre élèves.

Manifestations et autonomie
« Lorsque nous avons été manifester la première fois, nous avons été sanctionné par l’école : nous avons dû écrire des lettres aux différents partis politiques pour leur faire part de nos revendications. Puis, le mouvement a pris de l’ampleur et les profs se sont engagés. » nous explique Anna. Son enseignant, Guillaume Bossuroy ajoute « lorsque les élèves ont émis le souhait de faire grève pour le climat, ça ne collait pas avec le projet de l’école. Juste faire la grève n’est pas suffisant. Il fallait quelque chose derrière, quelque chose organisé à l’école. »

Les élèves membres de l’ACE Climat ont réfléchit aux actions qu’il était possible de mettre en place à l’école. Le groupe a vite pris de l’ampleur et est passé de 15 à 80 élèves. Ensemble, le ACE climat, met en place :

  • des sorties pour les manifestations ;
  • la réalisation après les cours de panneaux pour les manifestations ;
  • la suppression progressive des bouteilles d’eau jetables au profit de gourdes réutilisables ;

Dans une démarche globale de démocratie participative, le pouvoir organisateur autorise[3] les sorties pour manifester les jeudis. Cette décision reflète l’ensemble des avis du corps pédagogique. Guillaume explique qu’ « autoriser les élèves leur permet de s’autogérer et de se responsabiliser. [En effet,] certains élèves n’y vont pas parce qu’ils ont déjà loupé trop de cours le jeudi. »

Journée climat
Dans le prolongement de ces actions, ACE Climat a voulu intégrer tous les élèves de l’école dans le projet en organisant une journée climat. Ses objectifs : sensibilisation et réflexion autour du climat. Organiser une journée pareille permet également aux élèves « de développer des compétences d’autonomie, de travail de groupe, etc. Cela leur offre un espace de liberté où ils peuvent concrétiser leurs actions pour le climat. Ils peuvent réfléchir, devenir acteurs et s’engager pour la société dans laquelle ils veulent vivre. Toutes les décisions prises poussent les élèves à s’engager. » (Guillaume, enseignant référent au projet Climat).

« Bloquer la mobilisation des élèves est contraire au rôle de l’école » (Guillaume Bossuroy)

La journée s’est déroulée en deux parties :

  1. Projection de films et débats pour trouver des solutions
  2. 30 activités/ateliers proposés par les élèves, parents, enseignant·e·s,… (zéro déchet, monnaies locales, finance responsable, atelier de réflexion, etc.)

Cette journée a permis d’éclairer les élèves qui n’avaient aucune connaissance en la matière. Ils et elles en sont ressorti·e·s outillé·e·s pour mener des (petites) actions pour le climat. Pour les élèves déjà sensibilisé à la question, le débat portait davantage sur une question plus large : que fait-on de manière globale ?

Aller plus loin
Dans une optique d’échange et de sensibilisation, des élèves de quatrième année ont pris contact avec les directions d’autres écoles afin de mettre en place des actions à une autre échelle et de créer un groupe d’action plus large. Ces échanges sont encore au stade du projet.

Officialisation des manifestations ?
Etant donné que les manifestations s’organisent durant des heures de cours, le Segec (Secrétariat général de l’enseignement catholique) a été interpellé par plusieurs directions d’établissements.

Pour le Segec, la préoccupation pour le développement durable et l’éducation relative à l’environnement font partie de la mission d’éducation de l’école. Ces compétences peuvent s’acquérir au sein des écoles mais aussi en dehors. Elles font parties du Décret-Missions (1997).

Dès lors, la participation à une manifestation de sensibilisation aux enjeux climatiques peut être assimilée à une activité transversale relevant des missions de l’école. Cependant, trois conditions doivent être respectées pour le Segec :

  1. elle doit être exceptionnelle pour que l’école ne soit pas désorganisé tous les jeudis. L’activité, aussi légitime soit-elle, ne peut pas pénaliser les élèves ni leurs enseignant·e·s ;
  2. elle doit être encadrée pédagogiquement en classe avant et après l’activité ;
  3. elle doit se comprendre comme une démarche d’éducation et non comme une instrumentalisation de l’école au service d’une mobilisation sociale ou politique.

« L‘éducateur doit être un passeur, c’est à dire créer le contexte pour susciter le débat et ouvrir la porte à l’engagement souhaité » (Edith Devel, Segec)

Différents niveaux d’engagement ?
Il est difficile pour le Segec de prendre une position aussi tranchée pour des causes moins consensuelles que le climat (ex. les migrations). La question du climat est un consensus, c’est une urgence qui touche tout le monde. Il est relativement facile pour tous les acteurs de la société de prendre une position favorable à l’engagement des jeunes. Par contre, chaque école doit gérer ses urgences du quotidien. Elles ne se sentent pas toutes concernées de la même manière par la problématique climatique.

Pour Guillaume, il y a clairement un engament, une demande politique de la part des élèves dans la participation aux manifestions. C’est une demande d’action. L’un des rôles de l’école est d’éveiller l’esprit critique des élèves. Il faut aller plus loin que la réalisation d’ateliers concrets ; l’école doit être une base pour que les élèves s’engagent en dehors.

« Pour des sujets comme la migration, l’éducation est hyper importante car beaucoup d’élèves ne comprennent pas la situation, n’ont pas les bonnes infos, les infos qui circulent sont contradictoires, parfois fausses. » (Candella Salazar)

Pour le CEF (comité des élèves francophones), l’école doit pousser les élèves à la réflexion. Il ne faut pas toujours une mobilisation mais il faut au minimum poser le débat. Tous les élèves ne doivent pas s’engager de la même manière mais avec le climat, c’est la première fois que toutes cette génération s’engage pour la même chose.

Intérêt des élèves
L’absence de demande, d’intérêt des élèves, vient souvent de la méconnaissance. L’école doit établir les bases scientifique élémentaire pour expliquer ce qu’est le développement durable. Tous les élèves sont intéressé·e·s, ne fuse parce que l’événement est médiatisé. Dans toutes les classes, quelques élèves sont sensibilisé·e·s.

Enfin, il y a une réel intérêt à commencer la sensibilisation dès le plus jeune âge. Même si les élèves ont d’autres problèmes journalier que le climat, cette question restera une nécessité pour eux.

« C’est la première fois que notre génération s’unit pour une cause. C’est notre mai 68 à nous.» (Kevin Karena, le CEF)

Soutien de la direction
En manifestant durant les heures de cours sans le soutien de leurs directions, les élèves font de la désobéissance civile. Ne plus coopérer avec les autorités et leur désobéir permet d’avoir un impact et d’exiger un changement.

Il est clair que le gouvernement (et la plupart des directions) a été dépassé par les événements. Le décret mission a permis de justifier les absences.

« Il faut que les élèves soient considérés comme acteurs de l’école pour qu’ils puissent devenir des citoyens responsables et s’engager.» (Kevin Karena)

Outils – ONG
Même si les enseignant·e·s sont soutenu·e·s par leur direction, ils manquent de supports structurels. À l’Autre Côté de l’École, Guillaume supervise le projet Climat principalement en dehors de ses heures de travail. Sur le long terme ce n’est pas tenable, les enseignant·e·s s’essoufflent.

Pour soutenir les enseignant·e·s non pas de manière structurelle mais ponctuelle, les ONG proposent des outils aux écoles. Seulement, le CEF met en évidence la difficulté des ONG à entrer dans certaines écoles suite à la réticence des PO. « En général, si le PO accepte l’intervention d’une ONG, les enseignants sont plus réceptifs ou du moins, moins récitants à aborder ce genre de thématique. » (Kevin Karena)

Soutien de la direction –> Outils pédagogiques/animations –> Intérêt des élèves –> soutien de la direction

Neutralité
D’une certaine manière, le décret Missions entre en conflit avec la neutralité de l’école et des enseignant·e·s. Pour Guillaume, les enseignant·e·s ne sont pas neutres, ils·elles ont leurs propres idées. « La neutralité ne consiste pas uniquement à étudier les choses objectivement. On peut mettre le point sur certaines valeurs tant qu’il y a un travail sur l’esprit critique. L’enseignant ne détient pas la « vérité vraie ». Les élèves peuvent avoir leurs avis. L’enseignant ne doit pas être partisan mais il peut dire quelles sont ses idées et ses positions. »

Conclusion
Tous les acteur·rice·s présents sont unanimes, l’’école doit faciliter et encourager l’engagement des jeunes. Mais pas un suivi sur le long terme est essentiel. Quel que soit le sujet de mobilisation, il est essentiel de commencer par identifier la situation problème. Dans un second temps, il faut poser une base scientifique et analyser le problème afin de comprendre le phénomène dans son ensemble, de manière locale et globale. Enfin, après avoir pris du recul, il faut imaginer et mettre en place avec les élèves une action citoyenne. Manifestations, conférences, actions locales, etc. : elles doivent être inclues dans un projet globale.

Pour finir, n’oublions pas les personnes, les enseignant·e·s qui investissent énormément de temps et d’énergie dans la coordination de ce genre de projet ambitieux. Peut-être que le Pacte d’Excellence sera une réponse à la pérennité de ces projets.


[1] Quoi de neuf est un moment prévu durant les heures de cours pour discuter de l’actualité, des humeurs, etc.
[2] Pédagogie Freinet
[3] Sous réserve d’une autorisation parentale